Ça commence par des préparatifs de noce et finit en apothéose cosmique. Deux frères, mais aussi deux sœurs, sont aimantés par des liens inextricables d’amour et de haine. La concurrence, le sacrifice, les unions et désunions, meurtres et suicides, vengeances, pactes et échanges scandent un parcours tumultueux qui nous transporte de la quiétude d’un palais au champ de guerre, nous fait surtout longuement séjourner aux enfers. Les transactions qui décident de ce parcours permettent d’échanger vies et destins, de les mesurer les unes aux autres à la faveur d’une tension entre intérêts humains et vie éternelle. L’emblématique couple de frères en constitue la figure centrale, animée d’un déséquilibre, moteur de la tragédie qui défile : Castor est mortel, tandis que Pollux est voué à l’éternité. L’arbitrage du Père de ce dernier, Jupiter, omnipotent mais parfois indécis, permettra de rétablir l’union parfaite en donnant aux deux frères l’immortalité en partage. Cette réconciliation leur ouvre l’espace céleste, immuable et vénérable, à l’abri des turpitudes terrestres et parachève leur destin par une inscription cosmique sous le signe du gémeaux. On progresse ainsi vers un ordre symbolique suprême, qui garantit une issue heureuse à l’instabilité des émotions et des commerces humains: « Offrons à l'univers des signes immortels D'une amitié si pure & d'un amour si tendre. » De l’ombre à la lumière, se dessine aussi une forme d’émancipation, de libération. Dominant cette trajectoire, la figure de Castor, tué en ouverture, ressuscite pour ainsi dire à deux reprises, en revenant partager le monde terrestre, celui des hommes et en accédant à l’immortalité céleste. Et chez Rameau l’ordre est une fête, comme le dit si bien le tableau final :
« Que les cieux, que la terre & l'onde
Brillent de mille feux divers;
C'est l'ordre du maître du monde,
C'est la fête de l'univers. »
== Rideau ==
Dans cette version de 1754 donnée au Théâtre des Champs Elysées, c’est sans doute le magnifique chœur qui impressionne le plus. Puissant, limpide, équilibré il donne à l’opéra une trajectoire transparente, humaine et diaphane. Il en impose par la clarté de sa diction, qui délivre à chaque occasion un texte parfait. L’orchestre connait des moments de grâce, quand un basson enchanteur, accompagne une scène de deuil, donnant l’impression d’entendre pour la première fois le son de cet instrument. La fougue habituelle des violoncelles du Concert spirituel nourrit un orchestre précis et généreux. Dans un tel environnement, on aurait aimé une distribution de chanteurs à la hauteur, plus homogène, car les timbres sont parfois discordants, se répondent mal et ne remplissent pas tout à fait leur mission de porter un texte exigeant. Ce sont toutefois les ballets qui susciteront le plus de réserves, car le livret est peuplé de démons, furies, ombres heureuses et autres génies. Leurs premières apparitions sont du reste plutôt originales, intrigantes et elles suscitent une certaine attente. L’utilisation mécanique des mêmes propos chorégraphiques d’un bout à l’autre de l’opéra, toutes scènes confondues, finit toutefois par exaspérer, comme toute écriture à détente unique. Elle manque aussi de crédibilité et d’audace, enfermée dans une gestuelle obsessionnelle déconnectée du reste de la scène.
Le plaisir musical reste fort et le génie de Rameau porte toujours cette vision raisonnée d’un art fin, calculé, discipliné. On se souvient qu’il fut critiqué en son temps pour son intellectualisme et sa conception scientifique, si moderne, de la musique. Alors c’est aussi ce formidable esprit des Lumières qui résonne là de ses mille feux, ce qui est réjouissant.
« Que les cieux, que la terre & l'onde
Brillent de mille feux divers;
C'est l'ordre du maître du monde,
C'est la fête de l'univers. »
== Rideau ==
Dans cette version de 1754 donnée au Théâtre des Champs Elysées, c’est sans doute le magnifique chœur qui impressionne le plus. Puissant, limpide, équilibré il donne à l’opéra une trajectoire transparente, humaine et diaphane. Il en impose par la clarté de sa diction, qui délivre à chaque occasion un texte parfait. L’orchestre connait des moments de grâce, quand un basson enchanteur, accompagne une scène de deuil, donnant l’impression d’entendre pour la première fois le son de cet instrument. La fougue habituelle des violoncelles du Concert spirituel nourrit un orchestre précis et généreux. Dans un tel environnement, on aurait aimé une distribution de chanteurs à la hauteur, plus homogène, car les timbres sont parfois discordants, se répondent mal et ne remplissent pas tout à fait leur mission de porter un texte exigeant. Ce sont toutefois les ballets qui susciteront le plus de réserves, car le livret est peuplé de démons, furies, ombres heureuses et autres génies. Leurs premières apparitions sont du reste plutôt originales, intrigantes et elles suscitent une certaine attente. L’utilisation mécanique des mêmes propos chorégraphiques d’un bout à l’autre de l’opéra, toutes scènes confondues, finit toutefois par exaspérer, comme toute écriture à détente unique. Elle manque aussi de crédibilité et d’audace, enfermée dans une gestuelle obsessionnelle déconnectée du reste de la scène.
Le plaisir musical reste fort et le génie de Rameau porte toujours cette vision raisonnée d’un art fin, calculé, discipliné. On se souvient qu’il fut critiqué en son temps pour son intellectualisme et sa conception scientifique, si moderne, de la musique. Alors c’est aussi ce formidable esprit des Lumières qui résonne là de ses mille feux, ce qui est réjouissant.