Il faut « prendre aux mots » la Fabrique du Mans où le théâtre du radeau s’est installé au beau milieu des années 80. Des griffes de cet atelier sort une production complexe, un peu ésotérique. Dans Passim le produit a été peaufiné, séquence après séquence. On y sent le travail, les choix, les actes. Choix de textes bien sûr, qui sont au cœur du projet et lui donne son nom, référence à l’art et au plaisir de citer. C’est un code, mais aussi une éthique, présente, presque palpable. Les textes vont donc se succéder, comme autant de conduites à suivre, à accepter dans ce qu’elles ont de brut, de donné.
Le premier contact est difficile, on cherche à reconnaître les textes, à ne pas trop s’en laisser conter. On est redevable d’un pouvoir, que progressivement on va abandonner. Un nouveau fil se met en place, se met à solliciter les sens : l’intelligence du texte est à la fois ravivée et endormie, c’est curieux, un peu comme dans un rêve. Des visages au teint cireux, habités par d’énigmatiques courbatures, amorcent des monologues, déclament, prophétiques et inspirés ils ont le regard tourné vers un ailleurs qu’on ne définit pas vraiment. Ils évoluent dans un équilibre précaire, costumés. Comme les textes, ils passent, non sans difficulté, d’un plateau à l’autre. L’espace est encombré de tables, de panneaux qui empêchent de progresser. D’immenses cadres évidés lui redonnent parfois une configuration plus affirmée, mais les acteurs en débordent bientôt les contours. C’est un exercice de déviation permanent, lent. On hésite entre majesté solennelle du geste et maladresse chronique. Le geste est lourd tandis que les textes frappent, d’un son tantôt puissant, métallique, tantôt plus fluet. On écoute.
Ce ballet incongru accompagne textes et musiques sans qu’aucun lien clair ne s’impose dans cet assemblage éclectique. Des univers ampoulés, gauches, drôles se succèdent dans un improbable voyage. On y reconnaît Shakespeare ou Schubert. On y entend l’espagnol ou l’italien. Déclamations, mélopées. Cet art du collage propose des associations, des dissociations. On est à la fois dans le méandre et le raccourci. Mais vers quoi progresse-t-on ? Il y a une forme de grandeur déchue dans l’esthétique qui accompagne les textes, comme une forme de puissance défaite. Un espace encombré, où la moindre circulation fait problème. Des nautoniers nous font progresser d’ilot en ilot, en tension vers la parcelle suivante. La densité de la diction fabrique la texture commune de cet espace fragmenté, accidenté, encombré de mille vieilleries. D’immenses fenêtres amorcent l’ouverture vers un espace extérieur : où est-il ? Les textes font route malgré les obstacles, s’arrêtent parfois sur une belle pitrerie, un cheval de pantomime que ne secoue nul hennissement. On est passé par Don quichotte.
La route est longue mais moins éprouvante qu’on l’aurait craint, car de nouvelles figures se composent en chemin, comme autant de stations d’un kaléidoscope en révolution permanente, attaché à engendrer de nouvelles variations. Les textes y sonnent haut, s’y déplient comme autant d’énigmes levées, laissant bruire la force des mots.