Dans le jeu de miroirs qui oppose Nègres et Blancs, un meurtre programmé s’annonce et avance, au rythme d’une farce. Résonnant de clichés et d’insultes, une foire improvisée dans les rues de Las Vegas accueille des personnages qui réveillent et retournent les poncifs de l’antiracisme comme du libertarisme. Une atmosphère violente, sanguinolente s’impose pas à pas. Atmosphère complexe aussi, car personne ne sait qui est qui.
Dans cette adresse aux Blancs qui imite et maquille leurs réflexes les plus ostentatoires comme leurs stratégies les plus sournoises, toute lecture idéologique est probablement réductrice et vouée à l’échec. Genet se tient à distance du discours de l’identité raciale, et au cœur même. Il en exploite les codes pour les brouiller, les enfouir dans une poétique forte, perturbante, inclassable. La mort circule, libère une parole brute qui prend le dessus sur une logique de classe. Le retour régressif vers des instincts primitifs prime sur leur rapatriement confortable sous une bannière idéologique ou vertueusement partisane. L’insulte en est l’instrument, l’invective se substitue à toute socialité conflictuelle ou politique. La ligne de force est cachée dans la farce qui se déploie et consacre le principe de l’arroseur arrosé. Toute situation est susceptible de se retourner inexorablement, brutalement. Le déclin des Blancs, la violence bestiale des Noirs, vautrés dans une cruauté sans nom, s’affrontent derrière des masques. Ce sont des postures en quête de consistance. Seule la projection hors de soi par le langage manifeste leur existence. La vérité glisse dans l’anéantissement de soi, le meurtre de l’autre. C’est la mise à mort qui est au centre de ces « échanges », qui occupe et affaire.
Robert Wilson habille cette procession, qui échappe à toute description, dans un univers de néons. Habile et élégant, le dispositif permet des jeux visuels incessants, hauts en formes et en couleurs. Le dessin prime, encadre l’action, accapare l’espace scénique. Cette esthétique visuelle pointe, isole, découpe, relance. C’est beau comme une vitrine de luxe dans un aéroport. Les acteurs tentent de s’y déployer, tels des animaux enfermés dans une boîte de baraque foraine, version cinq étoiles. Le jeu est inspiré de la pantomime, et tente d’en forcer le trait. Encombré de costumes, de strass et de masques de pacotille, il fait de fréquents arrêts sur image, enchaine les mini ballets. On baigne dans un maniérisme qui enferme chaque scène dans un projet de scène isolé du reste. On ne comprend pas comment les choses s’enchainent, ce qui est déjà complexe dans le texte de Genet. Mais là, le développement de l’histoire devient presque indéchiffrable. Les jeux de lumière figent le théâtre dans des suites de tableaux, ponctués de rafales de mitraillette. La musique de scène fait des trous dans l’objet. Certes, dans la pièce de Genet les niveaux de réalité se mêlent, la loi du simulacre s’impose pour troubler la quête de vérité : où est le crime ? Comment s’organise-t-il ? Qui en sont les protagonistes ? Fallait-il pour autant gommer à ce point l’ordre proprement dramatique de la succession, des événements, de la trame qu’ils suggèrent ?
On ressort par ailleurs assourdi par un son agressif et inaudible, le texte échappe souvent à la compréhension. La sonorisation des comédiens fonctionne mal, on se demande du reste pourquoi avoir mis en place tout cet appareillage qui brouille la relation avec la salle. On est au bord de la saturation. On perd inexorablement le contact avec le texte, hyperfragmenté, dissocié de son objet scénique. On sombre dans le tape à l’œil, il faudrait pouvoir se boucher les oreilles, qui souffrent tant. On court après le sens et l’enchainement des scènes, ou plutôt on abandonne.
Ce sont ainsi un jeu d’apparence, un croquis surajouté, un livret d’esquisses qui dominent et écrasent le texte de Genet, que Robert Wilson a négligé en voulant le magnifier, l’amplifier. Il fallait le servir, pas l’honorer.
Dans cette adresse aux Blancs qui imite et maquille leurs réflexes les plus ostentatoires comme leurs stratégies les plus sournoises, toute lecture idéologique est probablement réductrice et vouée à l’échec. Genet se tient à distance du discours de l’identité raciale, et au cœur même. Il en exploite les codes pour les brouiller, les enfouir dans une poétique forte, perturbante, inclassable. La mort circule, libère une parole brute qui prend le dessus sur une logique de classe. Le retour régressif vers des instincts primitifs prime sur leur rapatriement confortable sous une bannière idéologique ou vertueusement partisane. L’insulte en est l’instrument, l’invective se substitue à toute socialité conflictuelle ou politique. La ligne de force est cachée dans la farce qui se déploie et consacre le principe de l’arroseur arrosé. Toute situation est susceptible de se retourner inexorablement, brutalement. Le déclin des Blancs, la violence bestiale des Noirs, vautrés dans une cruauté sans nom, s’affrontent derrière des masques. Ce sont des postures en quête de consistance. Seule la projection hors de soi par le langage manifeste leur existence. La vérité glisse dans l’anéantissement de soi, le meurtre de l’autre. C’est la mise à mort qui est au centre de ces « échanges », qui occupe et affaire.
Robert Wilson habille cette procession, qui échappe à toute description, dans un univers de néons. Habile et élégant, le dispositif permet des jeux visuels incessants, hauts en formes et en couleurs. Le dessin prime, encadre l’action, accapare l’espace scénique. Cette esthétique visuelle pointe, isole, découpe, relance. C’est beau comme une vitrine de luxe dans un aéroport. Les acteurs tentent de s’y déployer, tels des animaux enfermés dans une boîte de baraque foraine, version cinq étoiles. Le jeu est inspiré de la pantomime, et tente d’en forcer le trait. Encombré de costumes, de strass et de masques de pacotille, il fait de fréquents arrêts sur image, enchaine les mini ballets. On baigne dans un maniérisme qui enferme chaque scène dans un projet de scène isolé du reste. On ne comprend pas comment les choses s’enchainent, ce qui est déjà complexe dans le texte de Genet. Mais là, le développement de l’histoire devient presque indéchiffrable. Les jeux de lumière figent le théâtre dans des suites de tableaux, ponctués de rafales de mitraillette. La musique de scène fait des trous dans l’objet. Certes, dans la pièce de Genet les niveaux de réalité se mêlent, la loi du simulacre s’impose pour troubler la quête de vérité : où est le crime ? Comment s’organise-t-il ? Qui en sont les protagonistes ? Fallait-il pour autant gommer à ce point l’ordre proprement dramatique de la succession, des événements, de la trame qu’ils suggèrent ?
On ressort par ailleurs assourdi par un son agressif et inaudible, le texte échappe souvent à la compréhension. La sonorisation des comédiens fonctionne mal, on se demande du reste pourquoi avoir mis en place tout cet appareillage qui brouille la relation avec la salle. On est au bord de la saturation. On perd inexorablement le contact avec le texte, hyperfragmenté, dissocié de son objet scénique. On sombre dans le tape à l’œil, il faudrait pouvoir se boucher les oreilles, qui souffrent tant. On court après le sens et l’enchainement des scènes, ou plutôt on abandonne.
Ce sont ainsi un jeu d’apparence, un croquis surajouté, un livret d’esquisses qui dominent et écrasent le texte de Genet, que Robert Wilson a négligé en voulant le magnifier, l’amplifier. Il fallait le servir, pas l’honorer.