Par 105 voix Pour et 92 Contre, le Parlement finlandais a aujourd’hui, 28 novembre 2014, validé le principe de préparation d'un projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Les nouvelles dispositions devraient être effectives d'ici 2017...Comme pour toute progression de l’égalité des droits, on s’en réjouit. J’étais du reste persuadé que la Finlande rattraperait rapidement ce petit retard législatif par rapport à ses voisins nordiques. Nul doute que la crainte de paraître trop décalé dans le concert des nations européennes aura également su jouer son œuvre de conviction parmi les quelques 20 députés indécis qui ont finalement fait pencher la balance du « bon » côté. Le débat a été réel, peut-être pas aussi vif que mon sang latin l’aurait souhaité, mais dans un pays qui a, parmi les premiers, donné le droit de vote aux femmes, on imaginait difficilement qu’un tel archaïsme perdure.
La cartographie du vote est intéressante, car elle reflète l’équilibre entre deux Finlande connues de tous les amateurs de ce pays, qui font toutes deux le charme et l’attrait de sa complexité. Du reste, elles se côtoient aujourd’hui sans toujours s’opposer. Une Finlande imprégnée d’un christianisme austère, besogneuse, persuadée qu’elle doit sa survivance miraculeuse, climatiquement et linguistiquement, à son caractère obstiné, accroc à ses « valeurs ». Elle est insulaire, conservatrice par tradition, mais aussi et surtout par vocation, cultivant le fameux Beruf cher à Max Weber, sur un mode grégaire autant qu’agraire. Une autre Finlande, qui s’est fait connaître à l’étranger pour sa culture High tech, son ouverture européenne et internationale, une certaine audace créative et apparemment décomplexée se rassemble aujourd’hui dans les milieux plus urbains et notamment la capitale. Caricaturale comme toutes les oppositions, cette dualité, loin de présenter un caractère uniforme, connait à mon sens bien des nuances ; j’irai jusqu’à dire que bien des Finlandais, et c’est normal, sont amenés à cultiver, ou se sentir redevables, de ces deux tendances.
Les héros du jour : Arja Ruvonen, Mikko Alatalo et les femmes
Les députés représentant les régions plus rurales de l’ouest, de centre et du nord, les plus sensibles à l’idéologie puritaine, rurale et conservatrice, ont voté contre le projet de loi. S’y sont massivement associés les députés des « Vrais finlandais », à une heureuse exception. On apprend en effet que la courageuse Arja Juvonen, seule parmi les 37 députés formant ce groupe, a voté pour. Elle en avait informé le Chef Timo Soini. Comme il est catholique, il a grand cœur et un sens affirmé du Pardon, elle dit ne pas craindre les représailles… Les Verts et la coalition de gauche ont tous voté pour, ainsi que les sociaux-démocrates à deux exceptions, le parti des svécophones est dans la même configuration.
Le jeu se jouait donc pour l’essentiel à l’intérieur des deux autres grands partis : Keskusta (Centre) et Kokoomus (coalition des conservateurs et des libéraux), parti de l’actuel et pétillant Premier Ministre Stubb. Parmi les 36 députés de Keskusta, parti au credo plus crispé, 6 seulement ont fait le choix d’approuver le projet. On compte parmi eux le président du groupe parlementaire, des parlementaires de la capitale, ministres ou anciens ministres, dont l’électorat est massivement favorable à cette loi, mais aussi le merveilleux chanteur de rengaines surannées Mikko Alatalo à qui on promet une retraite heureuse grâce à ce choix, un député de Vaasa aussi qui raconte sur son blog de façon détaillée et émouvante comment son vote est né d’un profond examen de conscience… Au sein du premier groupe parlementaire le jeu est largement inversé avec 28 pour et 16 contre. Cette répartition reflète assez bien le clivage entre libéraux et conservateurs, ainsi qu’un fossé de génération. L’ambition très affirmée des plus jeunes générations euro conformistes passe nécessairement par l’approbation d’une telle loi. Ce sont aussi les député(e)s femmes qui ont fait la différence en se portant massivement pour (14) alors que seules trois femmes du parti votaient contre.
Droit ou opinion ?
Au-delà de ces décomptes on relèvera, pour ceux des députés qui ont franchi le pas, l’utilisation d’une rhétorique un peu molle, prudente et parfois lénifiante, mettant en avant la « tolérance », l’esprit de compréhension plus que l’esprit civique ou la progression, nécessairement tumultueuse, de la conquête des droits. Pour ceux-là, on ne fait pas l’histoire, on la subit. Dont acte. Aujourd’hui, devant le parlement finlandais et dans l’attente des résultats, on pouvait lire sur une pancarte joliment crayonnée la belle revendication suivante, que je fais mienne : « Ihmisoikeus, ei mielipide ! ». La décision relève en effet d’un progrès de droit et non d’une variation de l’opinion, tributaire de l’ethos, du pathos ou de je ne sais quel sentiment d’harmonie avec l’air du temps…
Ah … la neutralité finlandaise !
Pour finir avec un point de sémantique qui n’est pas pour rien dans la bascule finale des hésitants : le projet de loi s’intitule « Sukupuolineutraali avioliittolaki ». Avec un peu d’audace, que me pardonneront les amis traducteurs, on proposera donc en français : « Loi sur le mariage sexuellement neutre », c’est franchement délicieux mais pas forcément très comestible ! Je ne vois pas comment insérer le fameux « genre » qui ferait mieux l’affaire.
L’essentiel est dit dans la référence à la neutralité. Là où la loi française marquait le « pour tous », n’osant pas dire l’essentiel, à savoir l’égalité d’accès à une disposition civique, le législateur finlandais s’est replié sur une valeur sure : la neutralité. Paradoxe suprême en vérité, car si la loi est neutre pourquoi alors le dire ? Toute loi, engendrant des droits et de l’accès au droit, procède d’un choix. La diminution des discriminations en est l’effet escompté, et que nul jouissance de droit ne puisse empêcher autrui d’accéder aux mêmes dispositions, pour peu qu’il le veuille.
… et tout est si compliqué.
Et enfin, pour ne rien gâcher, il faut noter que les partisans de la loi devaient voter « NON » alors que les opposants devaient voter « OUI ». Espérons qu’ils ne se sont pas trompés !
La cartographie du vote est intéressante, car elle reflète l’équilibre entre deux Finlande connues de tous les amateurs de ce pays, qui font toutes deux le charme et l’attrait de sa complexité. Du reste, elles se côtoient aujourd’hui sans toujours s’opposer. Une Finlande imprégnée d’un christianisme austère, besogneuse, persuadée qu’elle doit sa survivance miraculeuse, climatiquement et linguistiquement, à son caractère obstiné, accroc à ses « valeurs ». Elle est insulaire, conservatrice par tradition, mais aussi et surtout par vocation, cultivant le fameux Beruf cher à Max Weber, sur un mode grégaire autant qu’agraire. Une autre Finlande, qui s’est fait connaître à l’étranger pour sa culture High tech, son ouverture européenne et internationale, une certaine audace créative et apparemment décomplexée se rassemble aujourd’hui dans les milieux plus urbains et notamment la capitale. Caricaturale comme toutes les oppositions, cette dualité, loin de présenter un caractère uniforme, connait à mon sens bien des nuances ; j’irai jusqu’à dire que bien des Finlandais, et c’est normal, sont amenés à cultiver, ou se sentir redevables, de ces deux tendances.
Les héros du jour : Arja Ruvonen, Mikko Alatalo et les femmes
Les députés représentant les régions plus rurales de l’ouest, de centre et du nord, les plus sensibles à l’idéologie puritaine, rurale et conservatrice, ont voté contre le projet de loi. S’y sont massivement associés les députés des « Vrais finlandais », à une heureuse exception. On apprend en effet que la courageuse Arja Juvonen, seule parmi les 37 députés formant ce groupe, a voté pour. Elle en avait informé le Chef Timo Soini. Comme il est catholique, il a grand cœur et un sens affirmé du Pardon, elle dit ne pas craindre les représailles… Les Verts et la coalition de gauche ont tous voté pour, ainsi que les sociaux-démocrates à deux exceptions, le parti des svécophones est dans la même configuration.
Le jeu se jouait donc pour l’essentiel à l’intérieur des deux autres grands partis : Keskusta (Centre) et Kokoomus (coalition des conservateurs et des libéraux), parti de l’actuel et pétillant Premier Ministre Stubb. Parmi les 36 députés de Keskusta, parti au credo plus crispé, 6 seulement ont fait le choix d’approuver le projet. On compte parmi eux le président du groupe parlementaire, des parlementaires de la capitale, ministres ou anciens ministres, dont l’électorat est massivement favorable à cette loi, mais aussi le merveilleux chanteur de rengaines surannées Mikko Alatalo à qui on promet une retraite heureuse grâce à ce choix, un député de Vaasa aussi qui raconte sur son blog de façon détaillée et émouvante comment son vote est né d’un profond examen de conscience… Au sein du premier groupe parlementaire le jeu est largement inversé avec 28 pour et 16 contre. Cette répartition reflète assez bien le clivage entre libéraux et conservateurs, ainsi qu’un fossé de génération. L’ambition très affirmée des plus jeunes générations euro conformistes passe nécessairement par l’approbation d’une telle loi. Ce sont aussi les député(e)s femmes qui ont fait la différence en se portant massivement pour (14) alors que seules trois femmes du parti votaient contre.
Droit ou opinion ?
Au-delà de ces décomptes on relèvera, pour ceux des députés qui ont franchi le pas, l’utilisation d’une rhétorique un peu molle, prudente et parfois lénifiante, mettant en avant la « tolérance », l’esprit de compréhension plus que l’esprit civique ou la progression, nécessairement tumultueuse, de la conquête des droits. Pour ceux-là, on ne fait pas l’histoire, on la subit. Dont acte. Aujourd’hui, devant le parlement finlandais et dans l’attente des résultats, on pouvait lire sur une pancarte joliment crayonnée la belle revendication suivante, que je fais mienne : « Ihmisoikeus, ei mielipide ! ». La décision relève en effet d’un progrès de droit et non d’une variation de l’opinion, tributaire de l’ethos, du pathos ou de je ne sais quel sentiment d’harmonie avec l’air du temps…
Ah … la neutralité finlandaise !
Pour finir avec un point de sémantique qui n’est pas pour rien dans la bascule finale des hésitants : le projet de loi s’intitule « Sukupuolineutraali avioliittolaki ». Avec un peu d’audace, que me pardonneront les amis traducteurs, on proposera donc en français : « Loi sur le mariage sexuellement neutre », c’est franchement délicieux mais pas forcément très comestible ! Je ne vois pas comment insérer le fameux « genre » qui ferait mieux l’affaire.
L’essentiel est dit dans la référence à la neutralité. Là où la loi française marquait le « pour tous », n’osant pas dire l’essentiel, à savoir l’égalité d’accès à une disposition civique, le législateur finlandais s’est replié sur une valeur sure : la neutralité. Paradoxe suprême en vérité, car si la loi est neutre pourquoi alors le dire ? Toute loi, engendrant des droits et de l’accès au droit, procède d’un choix. La diminution des discriminations en est l’effet escompté, et que nul jouissance de droit ne puisse empêcher autrui d’accéder aux mêmes dispositions, pour peu qu’il le veuille.
… et tout est si compliqué.
Et enfin, pour ne rien gâcher, il faut noter que les partisans de la loi devaient voter « NON » alors que les opposants devaient voter « OUI ». Espérons qu’ils ne se sont pas trompés !