Elle hésite, puis franchit le pas : « J’aurais dû faire une grande carrière ». Dans la salle, on sourit, on aime ce mélange de fierté et de retenue qui anime Francesca Solleville. Ses gestes a minima, dans la grande tradition d’une Cora Vaucaire, sa voix rauque et pointue, sa diction de reine africaine, son ton ferme et ses subtils fondus. Ses origines sont en Italie, comme le rappelle le bric-à-brac de cuisine et la sauce tomate qui mijote, laborieuse, dans un coin de la scène. Elle met trop de sel, elle ajoute du curry et des piments. Fidèle à la nonna de son enfance, aux valeurs anti fascistes que la haute figure de sa mère italienne rappelle, incarne et célèbre. Dans son parcours précoce d’exilée politique elle aurait pu être grecque, espagnole. Son pays d’accueil c’est la chanson française, inspirée, haute en dits et couleurs. Elle a des traits de légèreté, une saveur intimiste et soyeuse, des sorties drôles et provocantes. Elle traque et domine l’aventure du XX° siècle, ses tourments, sa cruauté, ses moments de bonheur et plante un individu aux prises avec le sens de son existence, le télescopage de la grande histoire et de l’histoire intime. Elle pratique le grand écart entre l’autodérision assumée « C’est toujours moi qu’on quitte… » et la gravité ciselée dans la souffrance. Elle est, enfin, servie par une pianiste d’exception.
Minimaliste ou obsessionnel ? L’art d’Alessandro Sciarroni se laisse en tous cas saisir dans la durée. Qu’il s’agisse de FOLK-S_will you still love me tomorow ? ou de UNTITLED_I will be there when you die il nous met devant une forme de performance élémentaire, construite sur la répétition de la même formule. Cette matrice évolue peu, car elle est le cœur du réacteur, objet simple et premier qui poursuit ses effets jusqu’à l’épuisement physique pour FOLK_S, jusqu’à l’épuisement arithmétique pour UNTITLED. Si l’approche est comparable, on n’ose toutefois pas pousser, malgré l’évidence, plus loin la similitude entre les deux spectacles tant la concentration produite est grande sur la spécificité du geste, la teneur singulière accomplie dans les deux cas. Que l’on répète la même danse tyrolienne, le « Schuhplatter », ou que l’on développe, en multipliant les massues de jonglage, la difficulté technique, l’appropriation demeure du même ordre : elle impose l’élément et la durée comme critères de perception et d’appréciation. La disponibilité s’installe progressivement, les sens s’adaptent, s’éduquent, se développent, l’empathie progresse. Sous l’effet de la prouesse technique, c’est une transformation du métabolisme du spectacle qui s’opère, en jouant ostensiblement sur le pacte de la représentation : le contrat se donne entièrement dans ce qu’il produit à voir, entendre, sans procéder d’un préalable ou jouer sur une perspective d’au-delà. Il introduit donc à un présent pur, calqué en acte sur l’idée de la scène comme moment de commencement et de production créatrice. On en sort donc régénéré, reconstruit. Un malus toutefois pour le son dans UNTITLED, qui s’il introduit bien une connivence en début de spectacle dégénère dans un produit conçu hors sol, une performance inutile et fatigante. C’est dommage, mais c’est malheureusement d’une fréquence désopilante sur les scènes : à quand une vraie réflexion digne de ce nom sur « l’accompagnement sonore » ?? |
AuteurPascal Hanse Archives
Septembre 2015
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