Romeo Castellucci compose dans son « Go down Moses » un itinéraire qui aborde, sans jamais les désigner explicitement, les limites de l’humanité. Elle fourmille pourtant déjà sur scène, derrière un rideau gris, se livrant à des échanges mal articulés, fait passer l’attente du Vrai commencement. Il est effrayant. Dès l’ouverture, la violence d’une naissance originaire, avortée dans les toilettes d’un café où l’enfermement, une fausse intimité et la terreur du surgissement de l’autre, derrière la porte, produit un effet de sidération qui se poursuit tout au long du spectacle. On passe la suite terré au fond de son fauteuil, reculant d’effroi devant les déclinaisons imbriquées de ce voyage dans une humanité issue de la violence d’une perte radicale, de soi, de l’autre. La mort y est omniprésente, plus réelle que la vie. On navigue à vue, entre toilettes de restaurant, poubelle où vient échouer un petit corps vivant, c’est l’enfant abandonné, le commissariat où l’impossible conquête d’une vérité réparatrice tente infructueusement de se mettre en place. C’est le seul moment où une forme de parole s’échange, après un long mutisme vers lequel la régression nous emporte irrémédiablement. C’est à la fois un calvaire, une souffrance et une forme de démonstration ritualisée, qui produit une forme de fascination. On pense au défi qu’elle lance à la puissance, à la Toute-puissance, à ce combat impossible entre l’homme et son Dieu, entre celui qui veut et celui qui peut. Un gigantesque scanner déchiffre le mystère du corps, son intériorité perdue. On y entre, on en sort : dans ce passage que s’est-il passé ?
On arrive enfin dans une grotte où une humanité primitive est aux prises avec sa propre naissance, son enfermement, son lien ténu à la subsistance, son premier rapport ritualisé à la mort. Et cet appel déchirant à sortir de là, à échapper à cet espace superbement clôt, dessiné comme une toile de maître. De quelles chaines cette humanité tente-telle de se délivrer, avec quels moyens rudimentaires ? Vers quelle lumière ? Quelle éternité ? Quelle liberté sans fin ?
En circulant dans ces profondeurs, en retournant de la vie moderne à la grotte primitive, le spectacle progresse vers quelque chose d’inéluctable et d’insensé. L’homme qui a rencontré Dieu a-t-il quelque chose à nous apprendre ? Où est l’enfant abandonné ? De quelle terreur la femme qui vient écrire avec des cendres un large SOS sur le rideau de voile qui sépare la grotte du spectateur cherche –t-elle à s’extraire ?
Reste cet appel même, venu de la nuit des temps, geste magistral sorti des profondeurs. Comme une urgence.
En circulant dans ces profondeurs, en retournant de la vie moderne à la grotte primitive, le spectacle progresse vers quelque chose d’inéluctable et d’insensé. L’homme qui a rencontré Dieu a-t-il quelque chose à nous apprendre ? Où est l’enfant abandonné ? De quelle terreur la femme qui vient écrire avec des cendres un large SOS sur le rideau de voile qui sépare la grotte du spectateur cherche –t-elle à s’extraire ?
Reste cet appel même, venu de la nuit des temps, geste magistral sorti des profondeurs. Comme une urgence.