Imposante de fragilité, crispée dans sa posture griffée d’une broche accrochée à ce tailleur des années trente, la cantatrice marque des pauses entre chacun des dix chants. Elle sort d’une vente Drouot de l’entre-deux guerres. La musique de Schubert l’accompagne, au piano. Elle chante, profère, articule, vient chercher ses mots loin dans les entrailles, marque l’effort. Elle a souvent du mal à enchainer. Au fil de ces courts intermèdes, une œuvre se tisse dans les interstices du tour de chant. Ces pauses produisent comme une attente, on y guette des signaux de plus en plus marqués, de faiblesse, de tension, les doigts se tordent, le corps part en vrille intérieure, une faille s’y installe et s’impose comme le personnage principal de la pièce. Un affaiblissement, une atténuation, un amenuisement. L’architecture et les choix musicaux l’installent. Depuis le Schubert plus naïf de « Auf des Wasser zu singen » qui ouvre le récital, culmine dans « Nur wer die Sehnsucht kennt » ( « Seul celui qui connaît la nostalgie /Sait ce que je souffre ! / Seule et affranchie de toute joie, /Je regarde le firmament /Dans cette direction. » ) avec cette promotion de la désolation, du dépérissement, de cette désertification qui envahit et ne laisse qu’un mince filet de l’âme proférer à la fin cet Adieu arraché : « Abschied ». Il s’achève, face au mur, comme une lamentation que seule la pierre, dure et frontale, accepterait d’entendre, déjà loin des hommes.
Ce cri, si soigneusement entouré des soins amoureux de Schubert, dans un art si précisément ciselé de la lamentation, invite au dépeuplement de tout, est repris par une actrice qui va, mimant son art, redonner à la scène une vigueur qui rompt sauvagement avec cette intimité nostalgique. On savait depuis le début qu’il y avait un lézard, qu’on ne tarderait pas à remonter cette pente si facile d’une interprétation soignée, belle, enchanteresse, mais quelque part conforme aux attentes d’un spectacle. C’est cet ordre que l’actrice vient troubler, jetant au spectateur une rude invective, brutale, grossière. Le trou noir des spectateurs en sort lacéré, criblé d’insultes. Ce dimanche aux Bouffes du Nord elles lui vaudront de belles huées en fin de spectacle. Il fallait rappeler ce qu’est une actrice, l’Art de représenter, ses forces et ses contraintes, ses limites aussi. Et puis ne pas oublier cette conclusion christique, réconciliatrice et œcuménique, drôle et soulageant à la fois.
Nous on applaudit, on aime cette audace, cette culture de la beauté et de la primitivité du théâtre. Et aussi Schubert qui balise un itinéraire sans garde-fou vers le dépouillement ultime, la solitude, l’extrême désolation.
Ce cri, si soigneusement entouré des soins amoureux de Schubert, dans un art si précisément ciselé de la lamentation, invite au dépeuplement de tout, est repris par une actrice qui va, mimant son art, redonner à la scène une vigueur qui rompt sauvagement avec cette intimité nostalgique. On savait depuis le début qu’il y avait un lézard, qu’on ne tarderait pas à remonter cette pente si facile d’une interprétation soignée, belle, enchanteresse, mais quelque part conforme aux attentes d’un spectacle. C’est cet ordre que l’actrice vient troubler, jetant au spectateur une rude invective, brutale, grossière. Le trou noir des spectateurs en sort lacéré, criblé d’insultes. Ce dimanche aux Bouffes du Nord elles lui vaudront de belles huées en fin de spectacle. Il fallait rappeler ce qu’est une actrice, l’Art de représenter, ses forces et ses contraintes, ses limites aussi. Et puis ne pas oublier cette conclusion christique, réconciliatrice et œcuménique, drôle et soulageant à la fois.
Nous on applaudit, on aime cette audace, cette culture de la beauté et de la primitivité du théâtre. Et aussi Schubert qui balise un itinéraire sans garde-fou vers le dépouillement ultime, la solitude, l’extrême désolation.