« Il avait besoin de réfléchir ; oui, mais au fond à quoi ? »
La première adaptation française pour le théâtre du célèbre roman de Houellebecq, paru en 1998, a connu, depuis sa création au festival d’Avignon en 2012, un succès mérité. Le plaisir entier qu’on a eu à le découvrir aux Ateliers Berthier confirme également la qualité de ce travail ample, d’apparente facilité. Il restitue fidèlement le texte, s’appuie sur lui et sait rendre compte de ses oscillations permanentes entre caricature acerbe et empathie réelle. Portés à la scène, les personnages y trouvent même une forme d’accomplissement, solidement dessinés. Le portrait au vitriol de Michel et Bruno, demi-frères antagonistes, s’y profile avec une vigoureuse efficacité, tout comme la ruine de l’hédonisme et de l’idéalisme qu’ils incarnent avec une forme d’obstination revêche aux démentis du réel.
Si l’on songe à l’équation de départ, qui ressort de la lecture du roman, on ne peut que saluer la précision de ce travail. Il densifie par la présence physique des acteurs la puissance de diagnostic de cette œuvre, que l’on retrouve et redécouvre. Ainsi mise en scène, elle balaye de son regard global trois décennies d’illusions, de renoncements, de manipulations. L’accusation, facile, de cynisme, si fréquemment mise en avant par les détracteurs de l’auteur des Particules élémentaires, trouvera là ses limites. Les acteurs donnent corps à un propos complexe, nourri par la complicité entre l’éloge libertaire rebelle et le conformisme des vertus néolibérales de la société de consommation. Il campe un édifice social qui prend l’eau de toutes parts, plombé par l’éloge narcissique, et compulsif du Moi et ses prétendus besoins. Sur le plateau, ce naufrage progresse avec une troublante légèreté de ton, une allégresse équivoque, que souligne une ironie omniprésente mais jamais trop acide. Elle tient le propos en respect, lui donne du crédit.
Le dispositif scénique participe de cet esprit de facilité. Au centre de la scène un immense tapis vert fait figure de terrain de jeu. Entourant cet espace une estrade permet aux différents protagonistes de se préparer, d’interagir, de patienter en attendant leur tour. Le processus se laisse scruter, intégrant la scène à des coulisses virtuelles où les acteurs se changent. Cette ouverture permet de respirer, elle favorise l’articulation entre les niveaux, la forme, le fil narratif et ses différents outils d’exécution. Elle conforte l’architecture d’ensemble qui fonctionne comme un laboratoire, combinant différentes voix, divers modes d’expression. Discours direct, commentaire, parole ou poésie se produisent comme autant de moments d’un projet en mouvement et en préparation permanents. Celui-ci s’attache à mettre en valeur les contiguïtés entre publicité et poésie, épopée et anecdote, dialogue et confession. L’utilisation d’une caméra qui projette certains gros plans sur écran géant en fond de scène fonctionne comme une ponctuation, elle donne de la fluidité à certains échanges, permet des variations de points de vue, indispensables à l’intelligence d’un texte qui ne peut se déverser d’un seul tenant. Ce bel exploit scénique permet de ne pas en alourdir le sens et d’en suivre les méandres, scène après scène.
On se trouve ainsi dans un paysage balzacien, où rien n’échappe à l’acuité du regard, tout y est construit pour renvoyer à un système. Les différents espaces géographiques y sont traités sur un mode biologique, biotopes, milieux spécifiques, théâtre de phénomènes où la spontanéité apparente de l’histoire résulte d’une soumission sans faille à la loi d ‘évolution du milieu. A Meaux, Crécy la Chapelle, le long du grand Morin, au Cap d’Agde, en Irlande la notion de milieu fait Loi, on n’y échappe pas. L’analyse au microscope révèle toujours la loi universelle. Le champ de la manipulation ouvert dans les rapports sociaux n’est plus ainsi le produit de l’ingéniosité des hommes mais le résultat d’un processus qui les dépasse. En maquillant cette servitude en liberté ils sont juste victimes d’une illusion. Leurs fantasmes détruits, que reste-t-il de cette humanité ?
Les incursions théoriques jouent dans la pièce un rôle utile d’élucidation et de complexification. Elles sont d’autant plus efficaces que les acteurs portent à la perfection ces personnages à la fois burlesques et réfléchis. Elles donnent sens au prosaïsme de certaines scènes, ou encore nourrissent la mythologie dérisoire d’ados défaits en proie à des démons humiliants et incapables de se gouverner. Elles renvoient dos à dos les obsessions de la vie sexuelle, les manipulations familiales, les jeux de pouvoir. Tout en s’efforçant de donner à ces défaites successives une valeur relative, elles orientent le cours du récit vers un constat global de crise de la civilisation. Il culmine dans le rêve d’une humanité débarrassée du souci de la reproduction sexuée, soulagée du spectre de la sélection, vidée de tout élan vital, rendue à la vacuité du simple vivre.
Si l’on songe à l’équation de départ, qui ressort de la lecture du roman, on ne peut que saluer la précision de ce travail. Il densifie par la présence physique des acteurs la puissance de diagnostic de cette œuvre, que l’on retrouve et redécouvre. Ainsi mise en scène, elle balaye de son regard global trois décennies d’illusions, de renoncements, de manipulations. L’accusation, facile, de cynisme, si fréquemment mise en avant par les détracteurs de l’auteur des Particules élémentaires, trouvera là ses limites. Les acteurs donnent corps à un propos complexe, nourri par la complicité entre l’éloge libertaire rebelle et le conformisme des vertus néolibérales de la société de consommation. Il campe un édifice social qui prend l’eau de toutes parts, plombé par l’éloge narcissique, et compulsif du Moi et ses prétendus besoins. Sur le plateau, ce naufrage progresse avec une troublante légèreté de ton, une allégresse équivoque, que souligne une ironie omniprésente mais jamais trop acide. Elle tient le propos en respect, lui donne du crédit.
Le dispositif scénique participe de cet esprit de facilité. Au centre de la scène un immense tapis vert fait figure de terrain de jeu. Entourant cet espace une estrade permet aux différents protagonistes de se préparer, d’interagir, de patienter en attendant leur tour. Le processus se laisse scruter, intégrant la scène à des coulisses virtuelles où les acteurs se changent. Cette ouverture permet de respirer, elle favorise l’articulation entre les niveaux, la forme, le fil narratif et ses différents outils d’exécution. Elle conforte l’architecture d’ensemble qui fonctionne comme un laboratoire, combinant différentes voix, divers modes d’expression. Discours direct, commentaire, parole ou poésie se produisent comme autant de moments d’un projet en mouvement et en préparation permanents. Celui-ci s’attache à mettre en valeur les contiguïtés entre publicité et poésie, épopée et anecdote, dialogue et confession. L’utilisation d’une caméra qui projette certains gros plans sur écran géant en fond de scène fonctionne comme une ponctuation, elle donne de la fluidité à certains échanges, permet des variations de points de vue, indispensables à l’intelligence d’un texte qui ne peut se déverser d’un seul tenant. Ce bel exploit scénique permet de ne pas en alourdir le sens et d’en suivre les méandres, scène après scène.
On se trouve ainsi dans un paysage balzacien, où rien n’échappe à l’acuité du regard, tout y est construit pour renvoyer à un système. Les différents espaces géographiques y sont traités sur un mode biologique, biotopes, milieux spécifiques, théâtre de phénomènes où la spontanéité apparente de l’histoire résulte d’une soumission sans faille à la loi d ‘évolution du milieu. A Meaux, Crécy la Chapelle, le long du grand Morin, au Cap d’Agde, en Irlande la notion de milieu fait Loi, on n’y échappe pas. L’analyse au microscope révèle toujours la loi universelle. Le champ de la manipulation ouvert dans les rapports sociaux n’est plus ainsi le produit de l’ingéniosité des hommes mais le résultat d’un processus qui les dépasse. En maquillant cette servitude en liberté ils sont juste victimes d’une illusion. Leurs fantasmes détruits, que reste-t-il de cette humanité ?
Les incursions théoriques jouent dans la pièce un rôle utile d’élucidation et de complexification. Elles sont d’autant plus efficaces que les acteurs portent à la perfection ces personnages à la fois burlesques et réfléchis. Elles donnent sens au prosaïsme de certaines scènes, ou encore nourrissent la mythologie dérisoire d’ados défaits en proie à des démons humiliants et incapables de se gouverner. Elles renvoient dos à dos les obsessions de la vie sexuelle, les manipulations familiales, les jeux de pouvoir. Tout en s’efforçant de donner à ces défaites successives une valeur relative, elles orientent le cours du récit vers un constat global de crise de la civilisation. Il culmine dans le rêve d’une humanité débarrassée du souci de la reproduction sexuée, soulagée du spectre de la sélection, vidée de tout élan vital, rendue à la vacuité du simple vivre.