Le titre donné par Vincent Macaigne à son adaptation du roman de Fiodor Dostoïevski résonne deux fois : comme une invective et comme une démonstration.
De fait l’interpellation est première. Aux abords du Théâtre de la Ville, où la troupe fait l’article, dans le hall où les acteurs rameutent, apostrophent. Sur l’avant-scène, on dansouille, une atmosphère de fête, un brin grivoise et arrosée, s’est installée, grâce à cette jeunesse étudiante qui s’est laissée inviter au bord du plateau, et qu’elle ne quittera que bien plus tard, quand la perspective de recevoir diverses projections de mousses, encres, tourbe, farine, plâtre ou tout autre produit passablement salissant lui aura recommandé un repli stratégique et ordonné. La bâche en plastique lui permettra, abritée aux avant-postes des deux premiers rangs, de se mettre à couvert des animations en fluides et solides qui ne manquent pas tout au long du spectacle. Cette sympathique attention installe d’emblée un lien chaleureux avec le public, travaillé de près par des acteurs drôles, justes, précis, généreux. C’est la fête.
Sur scène aussi, mais comme on le savait, la fête tourne au drame, la démonstration progresse en deux parties.
L’innocence et la naïveté du prince Mychkine domine la première. Ces traits de caractère enferment le personnage dans un amour impossible pour Nastassia, il est prêt à tout pour la sauver des griffes du frénétique Rogojine, dont l’amour est dominé par la jalousie, et au furieux emballement de sa trajectoire ambitieuse. Mêlés de compassion, les sentiments amoureux qui l’habitent se heurtent à un monde dans lequel sa soif de bonté n’a pas cours. Insensible aux stratagèmes qui se déploient à son insu, immergé dans le double jeu et la trahison il révèle, par son incompatibilité même, le caractère destructeur et démoniaque du monde qui le refuse et le manipule. Argent, position, amour y font l’objet de tractations dévoyées en trahisons, vols, pillages. Dans ce monde fracturé il semble poursuivre une existence gratuite et désintéressée, exempte de tout calcul. Pour combien de temps ? A quoi bon ?
Dans le spectacle de Vincent Macaigne, ce monde au bord du gouffre beugle, vocifère. Ses stratagèmes sont grossiers, énormes. Il se donne pour ce qu’il est, ne fait ni dans la fausse pudeur ni dans la dentelle. Le théâtre grossit, accentue, souligne et déborde le roman en multipliant les effets : cris ravageurs, grosses ficèles, effets de caricature servis pas un recours à la farce. L’idiot est un personnage parmi d’autres, c’est le spectacle comme totalité vivante et animée qui prime. Sur les tréteaux la trahison éclabousse en jets d’encre, s’effondre sous des avalanches de tourbe, le monde nage dans une mousse dense et factice, comme dans un bocal. La chimie du spectacle, et ses ingrédients de foire, souligne le caractère frelaté des relations, les corps y sont abimés, logés dans des costumes trop amples, mal ajustés, abîmés et humiliés mais toujours suractifs. Leur énergie est protéiforme, mais n’embraye que sur du vide. Ils recherchent souvent l’appui du public. On leur donne volontiers.
L’engagement des acteurs est total, surprenant. Ils sont tout à la fois cabotins et tonitruants. Ils vont et viennent entre la salle et la scène, troquent leurs vêtements pour des parures de bisounours ou des jupettes d’opérettes. Ils se débattent dans un joyeux désordre de graffitis, de paillettes, enfument et enfarinent, menant le spectacle par le bon bout d’une démonstration menée à train d’enfer. Les artifices de la scène, avec un plateau riche en fausses trappes et autres inventions, renforcent ainsi sans les négliger les ombres d’une œuvre prodigue en questionnements abyssaux : le doute porté sur la vanité de toute relation sociale tourne à la critique ordonnée, dont rien ni personne ne sort indemne. Cette folie est celle d’un monde qui sombre, enchainé dans les illusions de sa modernité inconséquente, obnubilé par ses performances. L’idéalisme n’y apparait pas non plus sous de beaux atours, c’est une impasse, comme la nostalgie, impuissante et ridicule. La singularité de l’Idiot reste entière, indécrottable, salie, bafouée.
La mise en scène privilégie clairement l’action et la dynamique d’ensemble à une vision psychologisante centrée sur les personnages. Ils sont tous happés dans un mouvement de perte accélérée de contrôle, jeux de phénomènes qu’ils ont déclenchés sans plus pouvoir en contrôler le cours absurde et grotesque. L’interpellation fonctionne à plein régime, on s’y engouffre sans renâcler, sans souffrir des beuglements incessants ou des gesticulations. Elles participent des travers d’un monde cynique et inconséquent. Dans cette déliquescence qui annonce le chaos, l’Idiot ne parvient pas, malgré le succès, à imposer une once de ses intuitions. Il chavire avec les autres, dans un mode peuplé de cris. Il ne parvient pas à lutter pour sa survie. La troupe donne de ce naufrage une version toutefois revigorante, sans concession, mais débordante d’une énergie positive. Du beau théâtre.
Sur scène aussi, mais comme on le savait, la fête tourne au drame, la démonstration progresse en deux parties.
L’innocence et la naïveté du prince Mychkine domine la première. Ces traits de caractère enferment le personnage dans un amour impossible pour Nastassia, il est prêt à tout pour la sauver des griffes du frénétique Rogojine, dont l’amour est dominé par la jalousie, et au furieux emballement de sa trajectoire ambitieuse. Mêlés de compassion, les sentiments amoureux qui l’habitent se heurtent à un monde dans lequel sa soif de bonté n’a pas cours. Insensible aux stratagèmes qui se déploient à son insu, immergé dans le double jeu et la trahison il révèle, par son incompatibilité même, le caractère destructeur et démoniaque du monde qui le refuse et le manipule. Argent, position, amour y font l’objet de tractations dévoyées en trahisons, vols, pillages. Dans ce monde fracturé il semble poursuivre une existence gratuite et désintéressée, exempte de tout calcul. Pour combien de temps ? A quoi bon ?
Dans le spectacle de Vincent Macaigne, ce monde au bord du gouffre beugle, vocifère. Ses stratagèmes sont grossiers, énormes. Il se donne pour ce qu’il est, ne fait ni dans la fausse pudeur ni dans la dentelle. Le théâtre grossit, accentue, souligne et déborde le roman en multipliant les effets : cris ravageurs, grosses ficèles, effets de caricature servis pas un recours à la farce. L’idiot est un personnage parmi d’autres, c’est le spectacle comme totalité vivante et animée qui prime. Sur les tréteaux la trahison éclabousse en jets d’encre, s’effondre sous des avalanches de tourbe, le monde nage dans une mousse dense et factice, comme dans un bocal. La chimie du spectacle, et ses ingrédients de foire, souligne le caractère frelaté des relations, les corps y sont abimés, logés dans des costumes trop amples, mal ajustés, abîmés et humiliés mais toujours suractifs. Leur énergie est protéiforme, mais n’embraye que sur du vide. Ils recherchent souvent l’appui du public. On leur donne volontiers.
L’engagement des acteurs est total, surprenant. Ils sont tout à la fois cabotins et tonitruants. Ils vont et viennent entre la salle et la scène, troquent leurs vêtements pour des parures de bisounours ou des jupettes d’opérettes. Ils se débattent dans un joyeux désordre de graffitis, de paillettes, enfument et enfarinent, menant le spectacle par le bon bout d’une démonstration menée à train d’enfer. Les artifices de la scène, avec un plateau riche en fausses trappes et autres inventions, renforcent ainsi sans les négliger les ombres d’une œuvre prodigue en questionnements abyssaux : le doute porté sur la vanité de toute relation sociale tourne à la critique ordonnée, dont rien ni personne ne sort indemne. Cette folie est celle d’un monde qui sombre, enchainé dans les illusions de sa modernité inconséquente, obnubilé par ses performances. L’idéalisme n’y apparait pas non plus sous de beaux atours, c’est une impasse, comme la nostalgie, impuissante et ridicule. La singularité de l’Idiot reste entière, indécrottable, salie, bafouée.
La mise en scène privilégie clairement l’action et la dynamique d’ensemble à une vision psychologisante centrée sur les personnages. Ils sont tous happés dans un mouvement de perte accélérée de contrôle, jeux de phénomènes qu’ils ont déclenchés sans plus pouvoir en contrôler le cours absurde et grotesque. L’interpellation fonctionne à plein régime, on s’y engouffre sans renâcler, sans souffrir des beuglements incessants ou des gesticulations. Elles participent des travers d’un monde cynique et inconséquent. Dans cette déliquescence qui annonce le chaos, l’Idiot ne parvient pas, malgré le succès, à imposer une once de ses intuitions. Il chavire avec les autres, dans un mode peuplé de cris. Il ne parvient pas à lutter pour sa survie. La troupe donne de ce naufrage une version toutefois revigorante, sans concession, mais débordante d’une énergie positive. Du beau théâtre.