Dans une émission radiodiffusée hier soir sur la chaîne France-Culture, le sociologue Alain Touraine exhortait la France et les Français à entrer enfin dans l’ère de la modernité.
Entre mille propos pertinents, je relève une proposition posée comme une évidence, à telle enseigne qu’il paraitrait presque futile ou discourtois de relever la chose. Cela mérite toutefois qu’on s’y arrête. Au chapitre « éducation », le sociologue appelait distraitement de ses vœux une conversion du système qui ouvrirait enfin la voie à « un véritable développement de la personnalité qui ne se limite pas à transmettre des connaissances. »
Un propos commun, qui suggère un assentiment tacite, et cible la résistance, obstinée et ringarde, de l’institution éducative.
Dans la suite de l’entretien il rappelait volontiers son attachement aux « valeurs de gauche », qu’il illustrait par la nécessité de promouvoir l’égalité et la protection des plus faibles.
Stigmatiser l’accès à la connaissance comme un carcan qui ferait obstacle au « développement de soi » me semble relever d’une confusion des fins, d’une confusion tout court, aux effets les plus pernicieux. Il y a donc, à défaut de partager des fausses évidences, de quoi s’indigner. Effectivement, l’ignorance n’étant plus un scandale, l’école peut généreusement offrir d’autres perspectives. On connait la place que prend en ce moment le marché du développement personnel, les mille foutaises qu’il trimbale donnant lieu à de juteux profits qui ne se limitent plus à l’emprise de quelques gourous : officines privées, édition, éducation nationale, DRH des grands groupes, coaching. La caissière de supermarché n’a qu’à bien se tenir, sortie mal instruite d’un système qui ne voudra plus que son bonheur et son épanouissement, elle n’aura qu’à faire ses économies pour se payer le stage.
L’irresponsabilité organisée, l’asociabilité sauvage qui résultent de la promotion de telles idées conduisent tout droit à la crise du bien public que nous connaissons, qui n’a rien de fatal et n’est aucunement liée aux effets délétères de la mondialisation.
Entendus à Kaboul, dans ma chambre de 15 mètres-carré, où je vis enfermé mais plus que jamais résolu à promouvoir les principes universels d’accès à l’éducation et à l’instruction, ces propos résonnent curieusement. Dans un pays meurtri par quarante années de guerre, où les écoles ont été fermées en 1996, pillées, dévastées que vaut une telle recommandation ? Fantaisie de nantis ou dessein global ? En matière d’éducation, ce qui vaut pour la France n’a de sens qu’universel, n’en déplaise au sociologue. Car ici les générations sacrifiées n’ont pas été perdues pour tout le monde : la formation de la personnalité bat son plein, terreurs et dictatures ne négligent jamais cette délicate et subtile culture psychologique. Les jeunes garçons sont entrainés dès le plus jeune âge à des fins morbides et suicidaires. Certes, je ne doute pas un instant que M. Touraine joindrait son indignation à la mienne pour réprouver de telles pratiques. Raison de plus pour ne pas inverser l’ordre des fins, qui seul légitime la revendication universelle dont procède l’éducation. La jeune fille afghane a besoin, si elle veut échapper à un destin confiné, de ces connaissances si vainement décriées pour leurs effets « inhibants » !! ce que nous prônons ici, avec nos projets de développement dans le domaine éducatif, nous devons pouvoir et savoir l’appliquer à nous-mêmes, car foncièrement l’exigence reste la même ici et ailleurs. C’est bien la connaissance qui libère, comme fin recherchée pour elle-même, l’instruction qui forge les esprits libres, capables de se donner les objectifs de « développement personnel » dont ils disposeront comme ils voudront, ou qu’ils choisiront d’ignorer, car tout le monde n’est pas obsédé par la chose.
Non, la question du développement de la personnalité ne s’impose pas comme finalité de l’éducation, c’est au plus un résultat, parmi d’autres, dont chacun s’accordera à jouir d’autant plus que, dans ce domaine, rien n’aura été dicté par l’autorité qui instruit. La placer à pied d’égalité avec l’accès à la connaissance ne peut, au mieux, que servir l’individualisme consumériste qui accable les nantis, au pire les projets les plus funestes qui aggravent la misère des plus défavorisés.
Entre mille propos pertinents, je relève une proposition posée comme une évidence, à telle enseigne qu’il paraitrait presque futile ou discourtois de relever la chose. Cela mérite toutefois qu’on s’y arrête. Au chapitre « éducation », le sociologue appelait distraitement de ses vœux une conversion du système qui ouvrirait enfin la voie à « un véritable développement de la personnalité qui ne se limite pas à transmettre des connaissances. »
Un propos commun, qui suggère un assentiment tacite, et cible la résistance, obstinée et ringarde, de l’institution éducative.
Dans la suite de l’entretien il rappelait volontiers son attachement aux « valeurs de gauche », qu’il illustrait par la nécessité de promouvoir l’égalité et la protection des plus faibles.
Stigmatiser l’accès à la connaissance comme un carcan qui ferait obstacle au « développement de soi » me semble relever d’une confusion des fins, d’une confusion tout court, aux effets les plus pernicieux. Il y a donc, à défaut de partager des fausses évidences, de quoi s’indigner. Effectivement, l’ignorance n’étant plus un scandale, l’école peut généreusement offrir d’autres perspectives. On connait la place que prend en ce moment le marché du développement personnel, les mille foutaises qu’il trimbale donnant lieu à de juteux profits qui ne se limitent plus à l’emprise de quelques gourous : officines privées, édition, éducation nationale, DRH des grands groupes, coaching. La caissière de supermarché n’a qu’à bien se tenir, sortie mal instruite d’un système qui ne voudra plus que son bonheur et son épanouissement, elle n’aura qu’à faire ses économies pour se payer le stage.
L’irresponsabilité organisée, l’asociabilité sauvage qui résultent de la promotion de telles idées conduisent tout droit à la crise du bien public que nous connaissons, qui n’a rien de fatal et n’est aucunement liée aux effets délétères de la mondialisation.
Entendus à Kaboul, dans ma chambre de 15 mètres-carré, où je vis enfermé mais plus que jamais résolu à promouvoir les principes universels d’accès à l’éducation et à l’instruction, ces propos résonnent curieusement. Dans un pays meurtri par quarante années de guerre, où les écoles ont été fermées en 1996, pillées, dévastées que vaut une telle recommandation ? Fantaisie de nantis ou dessein global ? En matière d’éducation, ce qui vaut pour la France n’a de sens qu’universel, n’en déplaise au sociologue. Car ici les générations sacrifiées n’ont pas été perdues pour tout le monde : la formation de la personnalité bat son plein, terreurs et dictatures ne négligent jamais cette délicate et subtile culture psychologique. Les jeunes garçons sont entrainés dès le plus jeune âge à des fins morbides et suicidaires. Certes, je ne doute pas un instant que M. Touraine joindrait son indignation à la mienne pour réprouver de telles pratiques. Raison de plus pour ne pas inverser l’ordre des fins, qui seul légitime la revendication universelle dont procède l’éducation. La jeune fille afghane a besoin, si elle veut échapper à un destin confiné, de ces connaissances si vainement décriées pour leurs effets « inhibants » !! ce que nous prônons ici, avec nos projets de développement dans le domaine éducatif, nous devons pouvoir et savoir l’appliquer à nous-mêmes, car foncièrement l’exigence reste la même ici et ailleurs. C’est bien la connaissance qui libère, comme fin recherchée pour elle-même, l’instruction qui forge les esprits libres, capables de se donner les objectifs de « développement personnel » dont ils disposeront comme ils voudront, ou qu’ils choisiront d’ignorer, car tout le monde n’est pas obsédé par la chose.
Non, la question du développement de la personnalité ne s’impose pas comme finalité de l’éducation, c’est au plus un résultat, parmi d’autres, dont chacun s’accordera à jouir d’autant plus que, dans ce domaine, rien n’aura été dicté par l’autorité qui instruit. La placer à pied d’égalité avec l’accès à la connaissance ne peut, au mieux, que servir l’individualisme consumériste qui accable les nantis, au pire les projets les plus funestes qui aggravent la misère des plus défavorisés.